Pluie le matin, crachin maintenant... ça file à grosses gouttes dans les rus et le canal. Les champs retiennent le tout... sale temps pour se balader. Même le tracteur enfonce la terre en ornières noires et profondes...
Chez nous on semble être dans le Nord... bâtiments de briques perdus dans les champs, annexes de parpaings dans les villages, encadrement briquetés sur toutes les longères, émergeant des enduits noircis par le temps et les pluies continuelles. Les toitures d'ardoise font le gros dos sous la bruine. Il ne manquent dans les champs mornes que les sillons de betteraves et les silhouettes fantomatiques des chevalets, géants marchant à grand pas au-dessus des paysages.
Au loin un champ de colza s'élève le long du coteau en une tache jaune qui tente sans succès d'égayer le paysage. Les vaches se sont regroupées et la regardent, alors que le cheval solitaire fixe tristement le sol noir.
A Nantes sur la Loire grise, la ville se noie dans le brouillard d'où émergent à peine les caracasses des grues, les friches industrielles, les faîtes des Nefs, les antennes des immeubles et la Tour de Bretagne. Figure d'une ville ou spectre d'une vie, voire de milliers de vies entrelacées dans le même nuage reçu en partage. D'un bout à l'autre de l'agglomération, de l'ardoise à la tuile, du blé aux vignes, de la Loire au Cens et la Sèvre, tout a disparu dans le triste temps.
Seule à Chantenay, une grue vénérable s'agenouille depuis près d'un siècle et prie pour la ville. Dans les Chantiers Dubigeon. Au milieu des bombes. Au milieu de rien aujourd'hui. Le passé qui rejoint sans cesse l'avenir sous la même pluie qui tombe sur la ville depuis la nuit des temps.