Publié : 01 déc. 2005 20:16
Ou quand deux milieux avec deux façons de "voir" la chasse se rencontrent... Petit article dans Libé (voir plus loin)
ATTENTION : Je ne poste pas cela pour provoquer une polémique, mais juste pour avoir vos réactions à ce sujet ! Inutile de vous dire que ce genre de comportement (de la part de gros bourges citadins qui payent pour flinguer à tout va) me répugne...
Au pays de Bambi
D'un côté les chasseurs, de l'autre les rabatteurs. Les uns sont là pour la
journée, les autres vivent dans ce coin du Loiret. Rencontre le temps d'une
battue en forêt.
LIBERATION - 27 novembre 2005 Par Renaud DELY
Pas un coup de fusil n'a résonné que le gibier a déjà rendu les armes : il
baigne dans la sauce, accompagné d'une plâtrée de gratin dauphinois, d'un
demi-camembert et d'une tarte aux fruits. Des lampées de vin rouge pour
engloutir l'hécatombe. Neuf heures du mat', en route pour une journée nature
au grand air patronnée par l'Office national des forêts (ONF) ! Dans la
maison forestière d'Ingrannes, à une trentaine de kilomètres au nord-est
d'Orléans (Loiret), le repas s'achève. Têtes grisonnantes, accents du cru,
anecdotes plein la gibecière, les rabatteurs s'échauffent la voix avant de
s'en aller traquer le cervidé. «Tonton», l'aîné de la bande, 75 ans dont 22
de «poussées», Michel, le «chef de traque», un géant bourru au verbe haut.
Certains sont retraités, d'autres au chômage. Tous ont en poche un sac en
plastique pour les champignons.
Dehors, les 4 x 4 se rangent sur le parking : mocassins en daim, vestes de
chasse impeccables, allures de gentlemen farmers, les fusils, parisiens pour
la plupart, débarquent. Chacun a déboursé 190 euros «pour faire un trophée»,
c'est-à-dire ramener les bois des «grandes pattes» (les cerfs). Les
rabatteurs cèdent la place aux chasseurs. Les deux mondes se croisent, se
toisent mais ne se parlent pas.
Le «chef de chasse», Stéphane Bitaud, de l'ONF, lit les consignes. Il y en a
vingt-deux: «En véhicule, l'arme doit être transportée déchargée, ne tirez
jamais dans la traque (la parcelle où se trouvent les rabatteurs, ndlr), ne
tirez qu'un animal dans une harde de grands cervidés (...), achevez toute
bête blessée, après le tir ramassez vos cartouches...» Les balles et le
gibier sont rationnés : deux faons, un daguet ou un cerf, uniquement les
sangliers jeunes, etc. Stéphane exhorte la troupe à annoncer toute bête
tirée avec des coups de cor suivis de «taïaut». Enfin, il précise les
amendes pour ceux qui forcent sur la gâchette : 90 euros pour un chevreuil
non prévu, 180 euros pour un cerf, etc. Sur le papier, les règles sont
strictes et sans appel. «Une autre façon de chasser, propre», assure
Stéphane. Mais l'assistance l'écoute distraitement.
Le chef de chasse informe sa meute de la présence de Libération pour la
journée. «On peut les tirer, les journalistes ?» demande une voix.
Ricanements sur le banc des chasseurs. Sueurs froides du côté de la presse.
Le gibier à plume enfile une chasuble fluo orange, histoire d'éviter toute
méprise. L'équipage traverse le hall où s'affichent les tarifs des
assurances : 15 euros par jour en cas d'incapacité temporaire pour un
rabatteur, 15 245 euros pour une «infirmité permanente» et... la même somme
en cas de décès.
«Les cris, les chasseurs aiment bien, ça fait folklore»
Un quart d'heure de route plus tard, on descend de voiture pour se placer à
l'orée d'une parcelle touffue, à l'angle de la «route de la Feuille-Morte»
et de celle du «Petit-Jouy». «Surtout ne bougez pas d'ici, il y a danger.»
Bien reçu. Pluie battante, froid glaçant, visibilité médiocre. Un chasseur
bedonnant remonte l'allée en courant : «J'ai oublié mes balles», souffle
Mercier, fort accent sudiste. Un coup de corne dans le lointain et les
rabatteurs disparaissent dans la futaie. Ils crient, hurlent, jouent de la
corne de brume, ambiance stade de foot. Pas vraiment pour faire frémir le
gibier, habitué au vacarme, mais plutôt pour faire frétiller le fusil. «Les
cris, les chasseurs aiment bien, ça fait folklore», confirme Stéphane
Bitaud.
Deux biches sortent des fourrés, s'arrêtent au milieu de l'allée. Mercier se
retourne : «Pan !» Trop tard. On ose trois pas en retrait, pour observer. A
50 mètres, un chasseur voûté à grosses lunettes fait mouvement. A l'abri !
Trois quarts d'heure plus tard, bredouilles, les chasseurs tirent la
tronche. La file de 4 x 4 se remet en route.
Midi, deuxième traque. La parcelle est bien plus vaste, pentue, et, surtout,
plus peuplée. A peine une salve de cris que les premiers coups de feu
résonnent. Quatre longs coups de cor suivi d'un taïaut (quatre coups plus
brefs) : «Un faon tué», traduit Stéphane. C'est Bambi qu'on assassine ! Un
sanglier désarmé fuit ventre à terre. «En retour...», hurlent les traqueurs.
L'animal se retrouve à découvert. Re-pan ! «Les chasseurs sont contents
quand ça tire, ça les motive», commente Stéphane. Les chiens aboient, le
gibier trépasse. Cessez-le-feu. Traqueurs et chasseurs se retrouvent nez à
nez, à un carrefour. «ça a touché ?» questionne un rabatteur. Pas de
réponse. Les fusils, repus, cassent la croûte sur le capot des véhicules. La
valetaille fait le sale boulot. Une remorque arrive: deux faons et deux
sangliers dans une mare de sang. Julien, cadre à l'ONF, est agacé : «Ils
n'avaient pas tout annoncé ! On a beau leur répéter, ils ne le font pas.»
Les rabatteurs se penchent sur le butin. Silence gêné. Les fusils ne
s'approchent pas. Jean-Claude, «en cessation d'activité depuis quatre mois»,
est ravi : il a ramassé un gros champignon : «Je ne suis pas chasseur, mais
là c'est très bien organisé, très propre.»
«Dans les chasses privées, on tire des colonnes entières de sangliers !»
A 14 heures, troisième battue, dans une forêt de pins, sous des trombes
d'eau. Trois cerfs déambulent nonchalamment. Pan tardif. Caramba, encore
raté ! «Ah peuchère, moi je sais chasser que le laping...», se gondole
Mercier, le fusil le plus inoffensif du Gard. Plus loin, un chevrillard s'en
va agoniser dans un fossé. Un chien s'occupe de le réduire en viande hachée.
Le chasseur a le triomphe modeste. La dernière poussée est plus fructueuse.
Une demi-douzaine de «grandes pattes» se font repérer dans de grandes allées
coupe-feu. Une heure de fête foraine et Francis, 75 ans, vue basse et
oreille incertaine, trône devant son «272e chevreuil !». La petite bête
traîne au sol. Francis tire sur la tête : les bois lui restent dans la main.
«Oh, c'est dégueulasse.» Son copain Charles ricane : «Francis, s'il ne tire
pas au moins une fois dans la journée, c'est foutu, le soir, il ne peut
plus...» Il affiche fièrement ses «85 millions» de redressements fiscaux,
raconte qu'il chasse avec «le parrain de M. Chirac», et prend l'air entendu
pour raconter ses états de service en Afrique où il s'en va traquer le
phacochère, le buffle «et les petites négresses, hein Francis ?». Et de se
lamenter : «Y'a pas de gibier, l'ONF fait du fric sur notre dos. Dans les
chasses privées, on tire des colonnes entières de sangliers !»
Cinquante mètres plus loin, Julien demande du renfort : «Deux faons blessés
à 100 mètres». Ce grand flou de Francis a fait du dégât. Stéphane Bitaud
arrive avec un «chien de sang»: «Cherche le sang, cherche le sang, allez,
cherche !» La «chasse propre» vire au gore. La quête dure une demi-heure. En
vain.
La nuit tombe. Retour à la maison forestière. Bilan : 7 bêtes abattues, un
daguet de 132 kg, deux faons de 68 et 55 kg, deux sangliers de 24 kg, un
chevreuil de 22 kg et... un chevrillard de 6,8 kg. «Sans les rabatteurs, pas
de chasse», annonce Stéphane. «Messieurs» les fusils les applaudissent du
bout des doigts. Du sang plein le tablier et les mains plongées dans les
entrailles, les rabatteurs découpent les cerfs. Pendant que les chasseurs
retournent s'attabler au chaud pour dégainer des bières.
ATTENTION : Je ne poste pas cela pour provoquer une polémique, mais juste pour avoir vos réactions à ce sujet ! Inutile de vous dire que ce genre de comportement (de la part de gros bourges citadins qui payent pour flinguer à tout va) me répugne...
Au pays de Bambi
D'un côté les chasseurs, de l'autre les rabatteurs. Les uns sont là pour la
journée, les autres vivent dans ce coin du Loiret. Rencontre le temps d'une
battue en forêt.
LIBERATION - 27 novembre 2005 Par Renaud DELY
Pas un coup de fusil n'a résonné que le gibier a déjà rendu les armes : il
baigne dans la sauce, accompagné d'une plâtrée de gratin dauphinois, d'un
demi-camembert et d'une tarte aux fruits. Des lampées de vin rouge pour
engloutir l'hécatombe. Neuf heures du mat', en route pour une journée nature
au grand air patronnée par l'Office national des forêts (ONF) ! Dans la
maison forestière d'Ingrannes, à une trentaine de kilomètres au nord-est
d'Orléans (Loiret), le repas s'achève. Têtes grisonnantes, accents du cru,
anecdotes plein la gibecière, les rabatteurs s'échauffent la voix avant de
s'en aller traquer le cervidé. «Tonton», l'aîné de la bande, 75 ans dont 22
de «poussées», Michel, le «chef de traque», un géant bourru au verbe haut.
Certains sont retraités, d'autres au chômage. Tous ont en poche un sac en
plastique pour les champignons.
Dehors, les 4 x 4 se rangent sur le parking : mocassins en daim, vestes de
chasse impeccables, allures de gentlemen farmers, les fusils, parisiens pour
la plupart, débarquent. Chacun a déboursé 190 euros «pour faire un trophée»,
c'est-à-dire ramener les bois des «grandes pattes» (les cerfs). Les
rabatteurs cèdent la place aux chasseurs. Les deux mondes se croisent, se
toisent mais ne se parlent pas.
Le «chef de chasse», Stéphane Bitaud, de l'ONF, lit les consignes. Il y en a
vingt-deux: «En véhicule, l'arme doit être transportée déchargée, ne tirez
jamais dans la traque (la parcelle où se trouvent les rabatteurs, ndlr), ne
tirez qu'un animal dans une harde de grands cervidés (...), achevez toute
bête blessée, après le tir ramassez vos cartouches...» Les balles et le
gibier sont rationnés : deux faons, un daguet ou un cerf, uniquement les
sangliers jeunes, etc. Stéphane exhorte la troupe à annoncer toute bête
tirée avec des coups de cor suivis de «taïaut». Enfin, il précise les
amendes pour ceux qui forcent sur la gâchette : 90 euros pour un chevreuil
non prévu, 180 euros pour un cerf, etc. Sur le papier, les règles sont
strictes et sans appel. «Une autre façon de chasser, propre», assure
Stéphane. Mais l'assistance l'écoute distraitement.
Le chef de chasse informe sa meute de la présence de Libération pour la
journée. «On peut les tirer, les journalistes ?» demande une voix.
Ricanements sur le banc des chasseurs. Sueurs froides du côté de la presse.
Le gibier à plume enfile une chasuble fluo orange, histoire d'éviter toute
méprise. L'équipage traverse le hall où s'affichent les tarifs des
assurances : 15 euros par jour en cas d'incapacité temporaire pour un
rabatteur, 15 245 euros pour une «infirmité permanente» et... la même somme
en cas de décès.
«Les cris, les chasseurs aiment bien, ça fait folklore»
Un quart d'heure de route plus tard, on descend de voiture pour se placer à
l'orée d'une parcelle touffue, à l'angle de la «route de la Feuille-Morte»
et de celle du «Petit-Jouy». «Surtout ne bougez pas d'ici, il y a danger.»
Bien reçu. Pluie battante, froid glaçant, visibilité médiocre. Un chasseur
bedonnant remonte l'allée en courant : «J'ai oublié mes balles», souffle
Mercier, fort accent sudiste. Un coup de corne dans le lointain et les
rabatteurs disparaissent dans la futaie. Ils crient, hurlent, jouent de la
corne de brume, ambiance stade de foot. Pas vraiment pour faire frémir le
gibier, habitué au vacarme, mais plutôt pour faire frétiller le fusil. «Les
cris, les chasseurs aiment bien, ça fait folklore», confirme Stéphane
Bitaud.
Deux biches sortent des fourrés, s'arrêtent au milieu de l'allée. Mercier se
retourne : «Pan !» Trop tard. On ose trois pas en retrait, pour observer. A
50 mètres, un chasseur voûté à grosses lunettes fait mouvement. A l'abri !
Trois quarts d'heure plus tard, bredouilles, les chasseurs tirent la
tronche. La file de 4 x 4 se remet en route.
Midi, deuxième traque. La parcelle est bien plus vaste, pentue, et, surtout,
plus peuplée. A peine une salve de cris que les premiers coups de feu
résonnent. Quatre longs coups de cor suivi d'un taïaut (quatre coups plus
brefs) : «Un faon tué», traduit Stéphane. C'est Bambi qu'on assassine ! Un
sanglier désarmé fuit ventre à terre. «En retour...», hurlent les traqueurs.
L'animal se retrouve à découvert. Re-pan ! «Les chasseurs sont contents
quand ça tire, ça les motive», commente Stéphane. Les chiens aboient, le
gibier trépasse. Cessez-le-feu. Traqueurs et chasseurs se retrouvent nez à
nez, à un carrefour. «ça a touché ?» questionne un rabatteur. Pas de
réponse. Les fusils, repus, cassent la croûte sur le capot des véhicules. La
valetaille fait le sale boulot. Une remorque arrive: deux faons et deux
sangliers dans une mare de sang. Julien, cadre à l'ONF, est agacé : «Ils
n'avaient pas tout annoncé ! On a beau leur répéter, ils ne le font pas.»
Les rabatteurs se penchent sur le butin. Silence gêné. Les fusils ne
s'approchent pas. Jean-Claude, «en cessation d'activité depuis quatre mois»,
est ravi : il a ramassé un gros champignon : «Je ne suis pas chasseur, mais
là c'est très bien organisé, très propre.»
«Dans les chasses privées, on tire des colonnes entières de sangliers !»
A 14 heures, troisième battue, dans une forêt de pins, sous des trombes
d'eau. Trois cerfs déambulent nonchalamment. Pan tardif. Caramba, encore
raté ! «Ah peuchère, moi je sais chasser que le laping...», se gondole
Mercier, le fusil le plus inoffensif du Gard. Plus loin, un chevrillard s'en
va agoniser dans un fossé. Un chien s'occupe de le réduire en viande hachée.
Le chasseur a le triomphe modeste. La dernière poussée est plus fructueuse.
Une demi-douzaine de «grandes pattes» se font repérer dans de grandes allées
coupe-feu. Une heure de fête foraine et Francis, 75 ans, vue basse et
oreille incertaine, trône devant son «272e chevreuil !». La petite bête
traîne au sol. Francis tire sur la tête : les bois lui restent dans la main.
«Oh, c'est dégueulasse.» Son copain Charles ricane : «Francis, s'il ne tire
pas au moins une fois dans la journée, c'est foutu, le soir, il ne peut
plus...» Il affiche fièrement ses «85 millions» de redressements fiscaux,
raconte qu'il chasse avec «le parrain de M. Chirac», et prend l'air entendu
pour raconter ses états de service en Afrique où il s'en va traquer le
phacochère, le buffle «et les petites négresses, hein Francis ?». Et de se
lamenter : «Y'a pas de gibier, l'ONF fait du fric sur notre dos. Dans les
chasses privées, on tire des colonnes entières de sangliers !»
Cinquante mètres plus loin, Julien demande du renfort : «Deux faons blessés
à 100 mètres». Ce grand flou de Francis a fait du dégât. Stéphane Bitaud
arrive avec un «chien de sang»: «Cherche le sang, cherche le sang, allez,
cherche !» La «chasse propre» vire au gore. La quête dure une demi-heure. En
vain.
La nuit tombe. Retour à la maison forestière. Bilan : 7 bêtes abattues, un
daguet de 132 kg, deux faons de 68 et 55 kg, deux sangliers de 24 kg, un
chevreuil de 22 kg et... un chevrillard de 6,8 kg. «Sans les rabatteurs, pas
de chasse», annonce Stéphane. «Messieurs» les fusils les applaudissent du
bout des doigts. Du sang plein le tablier et les mains plongées dans les
entrailles, les rabatteurs découpent les cerfs. Pendant que les chasseurs
retournent s'attabler au chaud pour dégainer des bières.