Publié : 21 sept. 2017 17:18
« Tu tueras au moins quelques pigeons [... si tu prends ton permis de chasser ... ]» m'assurait Denis, qui m'avait aussi prêté une petite carabine de jardin pour que je me rembourse des dégâts des lapins dans mon jardin. Je l'avais cru, mais cette saison m'apporta peut-être une ou deux alouettes, ou deux ou trois grives ... Ma mémoire flanche. 1986 ou 87, c'est loin. Comme j'avais toujours été un chasseur croyant sans jamais aller à l'office, j'avais acheté un fusil.
J'habitais alors une région au nord de tout, où l'hiver succédait directement au printemps froid et humide. De pigeon il n'y eut jamais dans ma gibecière. Trente ans après, j'avais bien pris quelques cerfs, quelques chamois, mais j'avais abandonné à elles-mêmes mes armes lisses* qui dormaient dans leur armoire, tristes et résignées. Deux jolis superposés à la même couche, en calibre douze et vingt, dont je percevais presque le reproche muet.
Je racontais parfois ce non-souvenir, et Gilles, authentique chasseur et bienfaiteur cynégétique, me proposa une chasse au pigeon. Et moi de fouiller dans les reliques d'une grande caisse pour en extraire, parmi deux cents munitions de mes amours anciennes, deux douzaines de cartouches au poil pour la plume. Plomb de six surtout, et de sept. Vêtements camouflés, cagoule et gants - je connais pour l'approche du grand gibier- siège, et enthousiasme. Lequel sera un peu rincé de pluie, de grésil et de vent... Me voilà aux marches du département, tout près de la Haute-Loire dont Gilles me montre le pointillé à côté du chemin. Je fais comme si j'avais vu.
La Margeride cantalienne
La Margeride est dotée de sols granitiques craignant la sécheresse. Y persistent, en conséquence agronomique, parmi les prairies et bois, des céréales dont les chaumes ne sont pas immédiatement mis en terre. C'est presque miracle. Ils assurent la pitance de l'avifaune qui a motivé notre venue. Quand Gilles part à grands pas installer avec dextérité huit formes et un volant, je dois quasiment courir pour ne pas être distancé. "Formes" qui sont de faux pigeons en plastique sur une courte tige, et volant qui est la même chose, mais avec les ailes ouvertes, et implanté sur une tige souple et longue qui donnera par son balancement dans la brise un surplus de vérité à cette fausse troupe se restaurant des grains oubliés par la machine.
Puis nous nous replions en lisière d'une haie, assis bas et immobiles, masqués comme Corses voulant inventer la démocratie. Quelques pigeons qui passent trop vite, trop haut, trop loin, sont l'occasion pour mon hôte de parler bisets, colombins et palombes, leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs pensées les plus secrètes. Il chasse aujourd'hui avec un joli "Merkel" français en calibre 16, mais m'a montré aussi un Charlin antique et gravé, toujours dans son calibre préféré. Au premier passage tonitruant, seul Gilles tire au sens wallon du mot, tandis que je me contente de la signification hexagonale** ... Pour la concision du récit, les manqués ne seront pas développés, car écrire tout un livre m'a toujours semblé rebutant.
Pose des formes
Et soudain, nos formes sont attaquées en rase mottes par une escadrille de trois colombins qui arrivent droit sur nous et se posent parmi elles à 35 mètres environ... et redécollent dans la même seconde. Nous tirons, mais ma première cartouche s'avère inefficace, contrairement à celle de mon admirable confrère. Mon second tir fait mouche. Ouf ! Plus rien ne vole, les trois oiseaux sont ramassés. Je viens de tuer mon premier pigeon, trente ans après mes plus anciennes tentatives. Je craignais de n'en être plus capable, manquant désormais du nécessaire entraînement au fusil. D'autant que c'est désormais un vieux fusil, dont je vois que la « bande ventilée », même si son dessin semble sèchement et redoutablement abrupt au premier regard, s'avère en fait érodée, incertaine, voire molle et floue quand je monte l'arme à l'épaule. Ce vieillissement de l'acier surprend.
Quelques coulemelles, palombes, bisets et colombins
Trois ou quatre oiseaux nous avons, en arrivant, gelés et affamés au restaurant de Chastel. Nous en ressortons sous le grésil et une pluie venteuse. Nous changeons de chaume. Gilles ajoutera quelques prises, et pour moi un seul tir réussi, à près de cinquante mètres. Dix cartouches par oiseau pour ma part ... Je me suis régalé de cette belle chasse-cueillette. Chasse pour laquelle il est prudent de se signaler quand arrive un confrère lui-même à la billebaude car il n'est pas impossible de voir ses formes prendre une giclée de plombs amis.
Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards !
* armes à canons lisses tirant de la grenaille pa ropposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou on a "manqué"
J'habitais alors une région au nord de tout, où l'hiver succédait directement au printemps froid et humide. De pigeon il n'y eut jamais dans ma gibecière. Trente ans après, j'avais bien pris quelques cerfs, quelques chamois, mais j'avais abandonné à elles-mêmes mes armes lisses* qui dormaient dans leur armoire, tristes et résignées. Deux jolis superposés à la même couche, en calibre douze et vingt, dont je percevais presque le reproche muet.
Je racontais parfois ce non-souvenir, et Gilles, authentique chasseur et bienfaiteur cynégétique, me proposa une chasse au pigeon. Et moi de fouiller dans les reliques d'une grande caisse pour en extraire, parmi deux cents munitions de mes amours anciennes, deux douzaines de cartouches au poil pour la plume. Plomb de six surtout, et de sept. Vêtements camouflés, cagoule et gants - je connais pour l'approche du grand gibier- siège, et enthousiasme. Lequel sera un peu rincé de pluie, de grésil et de vent... Me voilà aux marches du département, tout près de la Haute-Loire dont Gilles me montre le pointillé à côté du chemin. Je fais comme si j'avais vu.
La Margeride cantalienne
La Margeride est dotée de sols granitiques craignant la sécheresse. Y persistent, en conséquence agronomique, parmi les prairies et bois, des céréales dont les chaumes ne sont pas immédiatement mis en terre. C'est presque miracle. Ils assurent la pitance de l'avifaune qui a motivé notre venue. Quand Gilles part à grands pas installer avec dextérité huit formes et un volant, je dois quasiment courir pour ne pas être distancé. "Formes" qui sont de faux pigeons en plastique sur une courte tige, et volant qui est la même chose, mais avec les ailes ouvertes, et implanté sur une tige souple et longue qui donnera par son balancement dans la brise un surplus de vérité à cette fausse troupe se restaurant des grains oubliés par la machine.
Puis nous nous replions en lisière d'une haie, assis bas et immobiles, masqués comme Corses voulant inventer la démocratie. Quelques pigeons qui passent trop vite, trop haut, trop loin, sont l'occasion pour mon hôte de parler bisets, colombins et palombes, leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs pensées les plus secrètes. Il chasse aujourd'hui avec un joli "Merkel" français en calibre 16, mais m'a montré aussi un Charlin antique et gravé, toujours dans son calibre préféré. Au premier passage tonitruant, seul Gilles tire au sens wallon du mot, tandis que je me contente de la signification hexagonale** ... Pour la concision du récit, les manqués ne seront pas développés, car écrire tout un livre m'a toujours semblé rebutant.
Pose des formes
Et soudain, nos formes sont attaquées en rase mottes par une escadrille de trois colombins qui arrivent droit sur nous et se posent parmi elles à 35 mètres environ... et redécollent dans la même seconde. Nous tirons, mais ma première cartouche s'avère inefficace, contrairement à celle de mon admirable confrère. Mon second tir fait mouche. Ouf ! Plus rien ne vole, les trois oiseaux sont ramassés. Je viens de tuer mon premier pigeon, trente ans après mes plus anciennes tentatives. Je craignais de n'en être plus capable, manquant désormais du nécessaire entraînement au fusil. D'autant que c'est désormais un vieux fusil, dont je vois que la « bande ventilée », même si son dessin semble sèchement et redoutablement abrupt au premier regard, s'avère en fait érodée, incertaine, voire molle et floue quand je monte l'arme à l'épaule. Ce vieillissement de l'acier surprend.
Quelques coulemelles, palombes, bisets et colombins
Trois ou quatre oiseaux nous avons, en arrivant, gelés et affamés au restaurant de Chastel. Nous en ressortons sous le grésil et une pluie venteuse. Nous changeons de chaume. Gilles ajoutera quelques prises, et pour moi un seul tir réussi, à près de cinquante mètres. Dix cartouches par oiseau pour ma part ... Je me suis régalé de cette belle chasse-cueillette. Chasse pour laquelle il est prudent de se signaler quand arrive un confrère lui-même à la billebaude car il n'est pas impossible de voir ses formes prendre une giclée de plombs amis.
Même un splendide busard de St-Martin quasi blanc vient traîner près de nos formes ! Plusieurs fois, Gilles les a vues attaquées par des buses ou busards !
* armes à canons lisses tirant de la grenaille pa ropposition aux armes rayées
** en Wallonie, on a "tiré" ou on a "manqué"