suite et fin ( enfin
)
"2 - De la mort animale à la mort humaine.
L'autre cause est beaucoup plus récente et est une conséquence de la prise de conscience par l'opinion publique des risques écologiques et du combat mené par les organisations de défense de l'environnement.
La nécessaire protection des espèces animales a conduit les associations à développer un anthropomorphisme généralisé vis à vis de l'animal. Ceci pour faciliter sa défense en le rendant plus " aimable ". Moyen efficace certes mais qui a participé à une transformation du statut de l'animal, le posant comme sujet à égalité avec l'Homme. L'utilisation systématique du bébé animal et l'adresse de cette image aux enfants est exemplaire de cet anthropomorphisme.
Mais ce phénomène ne s'arrête pas là. Il semblerait bien qu'à contrario de l'exclusion totale de l'image de la mort animale se développe une valorisation considérable de la VIE animale.
Mon but n'est pas ici de reprendre le procès qui a été mené ces dernières années contre des écologistes dits " intégristes " que l'on accusait de défendre davantage l'animal que l'Homme et d'adopter plus facilement un dauphin qu'un enfant. Mais je voudrais simplement faire un constat significatif : aujourd'hui dans les médias, l'image donnée de la mort est presque uniquement celle de l'Homme ; l'image idéale de la vie est celle de l'Animal. La médiatisation de la mort humaine (guerre) a donc entraîné un renversement paradoxal : plus on montre la mort de l'Homme (impitoyable loup pour lui-même...) moins on montre la mort de l'animal et plus on valorise sa vie.
[l'incapacité de l'Homme à mettre un terme à son auto destruction, et le désarroi qui en résulte dans sa conscience, l'ont-ils conduit aussi à se tourner vers la protection de la vie animale au premier abord plus facilement accessible ? " Plus je regarde les hommes, plus j'aime les animaux " ? La disparition de la conception traditionnelle (au sens de pré-industrielle) qui voyait une nature hostile à l'Homme (les calamités, les loups, les ours...) a laissé la place à une conception strictement inverse - mais loin d'être fausse sur le plan écologique - qui voit l'Homme hostile à la nature. Il en ressort bien qu'aujourd'hui l'Homme n'a qu'un seul ennemi : lui même. Et que, si on ne peut pas le protéger contre ses propres actes alors on peut essayer de protéger son autre victime: la nature... ]
Dans sa pratique, le chasseur non seulement ne participe pas à ce processus totalement hypocrite. Mais il fait l'inverse : l'incompréhension devient sociologiquement très lourde.
[ il faut dire deux mots du pêcheur. Outre que seule la pêche professionnelle nourrit des millions d'hommes, d'animaux sauvages, l'indifférence de l'opinion vis à vis du pêcheur amateur (voire sa bienveillance légendaire pour sa soi disant bonhomie) est significative de l'anthropomorphisme des rapports de l'Homme à l'animal : le poisson, vivant dans l'eau, classé inférieur, n'a droit à aucune considération. Pourtant l'assimilation des comportements des chasseurs et des pêcheurs est facile : même prédation, même organisation associative, même type de fédération, mêmes gestions des milieux (alevinage ou repeuplement, réserves) même pseudo-gestion contestable (déversement des truites d'élevage portions, lâchers de " gibiers " de tir) etc... J'ajouterai cependant que la différence d'outil pour pêcher et chasser (la canne à pêche et le fusil !) n'est pas neutre pour le regard que les autres portent sur ces deux pratiques. Le fusil peut aussi tuer des hommes, pas la canne à pêche ? Je doute que cela soit essentiel.]
Enfin, je dirai quelques mots sur le dernier argument entendu qui permet de montrer du doigt celui qui (parait-il) tue pour le plaisir.
III - Tuer pour le plaisir ?
L'argument est beaucoup plus précis. De fait ? on peut même considérer qu'il pourrait être le point d'orgue de l'argumentation anti-chasse si l'analyse précédente (l'exclusion de la mort animale) n'avait pas de validité.
Pourtant nous allons voir que ces deux points sont intimement liés et ne peuvent être compris l'un sous l'autre.
Cet argument opposerait toujours sur le plan moral le chasseur moderne du chasseur des sociétés primitives ou traditionnelles :
le chasseur moderne tuerait sans nécessité donc par plaisir (puisque la chasse est un loisir)
le chasseur primitif tuerait par nécessité pour se nourrir.
Serait-ce là, dans cette opposition du nécessaire au plaisir, que résiderait l'immoralité de l'acte de chasse moderne ? Le chasseur moderne aurait-il perverti la chasse (en devenant pervers lui-même) en introduisant le plaisir là où il n'y avait que triste nécessité ?
Cet argument est un véritable contresens ethnologique. Il n'y a pas une étude scientifique qui ne montre la joie des chasseurs primitif à partir à la chasse : chez les Esquimaux de Thulé, chez les Guayaki d'Amazonie, chez les Sioux, chez les Pygmées d'Afrique...
Primitif ou moderne, le chasseur intègre le plaisir à son activité. Pour se nourrir pour le premier. Pour mieux se nourrir pour le second. Dois-je renvoyer au rôle de la gastronomie dans les cultures humaines ?
[ cette continuité de l'exercice de la chasse dans les sociétés humaines ne signifie pas que la chasse soit " naturelle " (inscrit dans ses gènes) pour l'Homme. Rien ne l'est vraiment pour lui. Elle est au contraire un des aspects diversifié et évolutif de sa culture.]
Si le chasseur ne tue pas par plaisir, il chasse par plaisir. Si on réfléchit à l'analyse de la mort animale développée ci-dessus on s'aperçoit alors que seul le chasseur banalise cette mort animale (en la montrant) alors que le reste de la société la refuse tout en la pratiquant massivement. Si pour le chasseur, la mort animale n'a rien de sacré ou de tabou, le plaisir d'une pratique intégrant cette mort n'a donc rien d'immoral. Mieux, si la mort animale est banale, il ne peut y avoir aucune valorisation de celle-ci par celui qui la donne, encore moins d'un plaisir qu'il y prendrait. Cela confirme une vieille hypothèse : le plaisir de la chasse (la chasse en réalité) est toute entière dans la quête du gibier, dans sa possession. Pas dans sa mort. Expliquer pourquoi ne manque pas d'intérêt. Mais cela dépasse le cadre de cette étude.
La chasse moderne ne partage donc pas le monde en deux camps : d'un côté, une bande de beaufs armés et assoiffés du sang des animaux et de l'autre d'aimables citadins ou néo-ruraux souriant à la vie. La chasse ne connaît pas une crise morale. Elle est d'abord confrontée à des bouleversements sociologiques qu'elle ne maîtrise pas et ensuite aux effets pervers du combat écologique.
Il est certes urgent que les chasseurs balayent devant leurs portes tous les comportements imbéciles et suicidaires et qu'ils deviennent des gestionnaires écologiquement responsables : qu'on en finisse avec la chasse en période de fermeture légale, avec les classements de gibier en nuisibles, avec les lâchers intempestifs... Mais tant qu'il y aura des lapins de garenne, ceux qui les tirent au fusil, qui les regardent courir, qui les photographient ou qui ne les voient jamais seront d'une égale dignité. "
par Monsieur Jean-Philippe MAILLOS